24/01/2013
Encore, et encore, et encore
Il n'y a pas de recours
Recouds-toi si tu peux
Un beau sourire une jambe qui suit le reste sans trop se faire traîner
Une voix un tantinet mélodieuse
Tu en es conscient et tu guettes la limite
Tu sais qu'il y a un moment dans la vie de tout homme
Où s'il s'entend lui-même répéter une fois de plus
Ce sera sur place ou à emporter
Il finira par tuer quelqu'un
Pourtant ça reste une expérience
Alchimie
Transmutation de tout et du reste
BLABLA BLABLA en couleur et en stéréo
Et l'amour la famille et le chamanisme
Appelle ça comme tu veux
ça reste
De la chair
Ce métier n'est pas un métier
C'est une vie
Et ces deux mouches et leur coït à pic du canapé
Qui te foutent les larmes aux yeux alors que tu te masses les pieds
Ce n'est pas une vie
C'est un métier
09:58 Publié dans Bouts de peau | Tags : fast food, blabla, vie, métier; coït, mouches | Lien permanent | Commentaires (0)
15/01/2013
Symphonie en cuisine
On ne va pas se mentir. Je ne suis sûrement pas le moins con d'entre vous. Ni le plus subtil. Ni le plus post-moderne ou néo-indus. Mais il y a une chose pour laquelle je suis balèze, vraiment insurpassable, c'est l'admiration.
Je suis capable d'admirer dans n'importe quelle position, dès le matin, même à jeun, même avec très peu de matériel.
Je suis comme ça. J'admire.
Dans la cuisine du restaurant d'une chaîne de fast-food très connue où j'ai travaillé pendant quatre ans, j'avais un pote que j'admirais en particulier, P. Et je ne l'admirais ni pour sa culture musicale ni pour l'encyclopédie du cinéma asiatique qu'il portait sous sa casquette. Mais pour la qualité de son silence. C'est important, le silence. Moi et ma grande gueule, en tout cas, on l'a toujours apprécié chez les autres.
P. connaissait la cuisine par coeur et il savait que c'était beaucoup moins un lieu de travail qu'un lieu de vie. Aussi, il avait développé toute une gamme de techniques de survie qui ont fait école dans le fast-food, tennis-burger, minigolf-poubelle, ateliers de décoration avec le ruban de l'étiqueteuse, etc. Mais son grand oeuvre a été une symphonie. Cette oeuvre a existé : il y a eu des témoins, mais, à part P. et moi, personne qui s'en soit rendu compte. Je dirais même que cette oeuvre n'a de valeur que si peu de gens s'en aperçoivent.
Malgré tout, l'importance m'en paraît trop grande pour que je n'en laisse pas une trace. Voici donc une indication pour les galeriste, bien que l'idée même de reproduire une telle oeuvre dans un lieu dédié à l'art porte une contradiction en soi.
Admirez avec moi, mes frères : P. est l'inventeur de l'art discret.
Titre de l'oeuvre : Symphonie automatique en cuisine majeure.
Matériel : Full kitchen, du type Mc Donald's®, c'est-à-dire : trois toasters, six clams (grills, deux par toaster) avec leurs sonneries, c'est-à-dire : pour les toasters, enclencher, 35 secondes puis sonnerie en MI, 60 à la noire. Pour les clams : clam 1, 40 secondes puis sonnerie LA-SI, soupir, LA-SI, soupir en ¾, 60 à la noire, (5 secondes) puis même sonnerie que le toaster (5secondes) ; pour les clams 2 et 3, 120 secondes puis même thème.
Un poste-frites : trois cuves, sonnerie en MI (60 à la noire) au bout de 3 minutes, avec, au bout de 30 secondes une sonnerie intermédiaire, en LA (15 à la noire).
Un poste poulet-poisson : huit cuves, dont quatre sonnent au bout de 4'30'', et quatre au bout de 3'15''.
Des timers pour les produits des tables à garniture : une douzaine. Sonnent au bout de 3 heures.
Une pointeuse qui sonne toutes les heures pour marquer la demie, avec un bruit électronique évoquant la harpe ou des gang-bangs de fées et de lutins au pays des merveilles.
Protocole : deux équipiers expérimentés sont nécessaires pour la manœuvre. La mise en route consiste à actionner les appareils à tour de rôle pour que toutes les sonneries se déclenchent en même temps.
Nota bene : La performance doit être entreprise pendant les heures creuses pour d'évidentes raisons de disponibilité des appareils de cuisson, et aussi parce que la Symphonie doit résonner dans le silence.
Impossibilité : l'oeuvre n'a de sens que dans la mesure où elle est exécutée dans une vraie cuisine de vrai fast-food avec de vrais clients et un personnel encadrant présent qui ne doit s'apercevoir de rien, car ce genre de happening, comme tout ce qui ne rapporte pas d'argent, est strictement interdit pendant les heures d'ouverture.
Exécutions : une fois (été 2010), dirigé par Pierre Gaidot, avec l'aide de Grégoire Damon. Public : Brice, manager. Anissa, hôtesse.
Le hasard, qui connaît son boulot depuis le temps, voulut que l'exécution survienne dans un moment de silence. Le genre de moments où le temps est complètement flottant, et dont les conditions ne se réunissent que deux ou trois fois dans une vie d'équipier de restauration rapide.
Seuls les organisateurs surent se rendre compte de l'importance historique de ce qui était en train de se dérouler.
08:52 Publié dans Bouts de peau | Tags : cuisine, fast food, temps de cuisson, symphonie, admiration, art discret | Lien permanent | Commentaires (2)
20/12/2012
Chemises II
Conversation avec Steve. Il vient d'apprendre qu'on lui a refusé ses vacances. Il avait la tête baissée, il ne regardait pas sa clope se consumer, et c'est une erreur. Il y en a qui meurent de ça. À la place, il préférait regarder le halo brun sur sa chemisette blanche. Le halo était bien central, placé plexus solaire, comme si quelque chose battait encore en-dessous, quelque chose de plus important qu'une cigarette. Et le halo était là parce que Steve avait dû remplir un distributeur de ketchup de la main droite pendant qu'il étiquetait des bacs à salade de la main gauche. Et il faisait l'ambidextre parce que, bien sûr, ce jour-là, où on l'avait appelé en catastrophe à sept heures dix pour remplacer le manager d'open à sept heures, il y avait en plus deux absents pour cause de grippe. La grippe grève plus les effectifs que la grève, chez Meecoy. Et crève les managers par intérim.
Steve avait accepté de venir. Pas manager, mais bien managé-mangé de l'intérieur du cerveau, bien dressé, mais pas sur ses ergots, il prend ses trois quarts par semaine et avec ça il demeure mon frère de paye, voilà la vérité : et en le voyant assis là, la tête entre les genoux, j'ai eu moi aussi une grande bouffée-plexus, un grand halo, mais je ne l'ai pas étalé sur mon polo parce que c'était de la compassion et que Steve était assez humilié comme ça. Je me suis assis à côté de lui, j'ai allumé ma cigarette à moi, et j'ai attendu qu'elle agisse sur son transit verbal.
— Incompétent. Jipé a dit incompétent. Mais ce qui fait le plus mal, c'est le petit rire de Gerald.
— Et tu en tires quoi comme conclusion ?
— J'ai pas fini à l'heure. J'ai pas réussi. C'est tout.
— T'es vraiment con...
Je m'en suis voulu. Mais à la réflexion, le terme ne paraît pas totalement improductif, philosophiquement parlant. J'en ai tiré une petite théorie, qui, j'espère, sera reconnue à la hauteur de son sérieux terminologique. La voici.
Théorie définitive de darwinisme anthropologique appliqué à Meecoy
Les managers (et assimilés) se divisent en deux catégories : les cons et les enculés.
Il existe des signes par lesquels un spécialiste peut, d'un seul regard-manager, savoir à qui il a affaire. Et en premier lieu, le signe chemisier :
Les cons ont une chemise tachée.
Les enculés ont une chemise propre.
Il est à noter que les enculés ne sont pas forcément des enculés. Je veux dire, ils sont pas tous forcément du genre à se jeter à l'eau pour faire les poches de l'homme qui se noi. Mais on remarquera qu'ils ont toujours les bons plannings, qu'ils obtiennent les dates de congés payés qu'ils désirent, qu'ils ont une facilité surnaturelle à gravir les échelons, et qu'ils éteignent leur portable la nuit, condition propédeutique indispensable à leur non-corvéabilité pour les imprévus de l'open.
On sait peu de choses sur les causes génétiques ou sociologiques qui font de tel ou tel manager un con ou en enculé pour l'ensemble de sa carrière, mais tout porte à croire que cette orientation est, sinon innée, du moins déterminée très tôt, avant le début du parcours professionnel, et dérive d'un ensemble de traits comportementaux qualifié vulgairement de personnalité. Ce qui nous amène au deuxième signe infaillible d'enculage :
Les cons regardent leurs chaussures. Les enculés bombent le torse. Comme les membres de l'équipe de direction.
L'état actuel de nos recherches ne nous permet pas d'établir avec certitude si le bombage de torse est une cause ou une conséquence, mais les faits sont là : un enculé d'un mètre soixante-dix fait une tête de plus qu'un con d'un mètre quatre-vingt-quinze.
La machine Meecoy, pour fonctionner, a besoin des deux : les enculés fournissent le contingent des futurs directeurs et directeurs-adjoints, et offrent une plus-value d'image à l'entreprise. Les cons font tourner la machine, assurent les remplacements, rustinent les avaries.
J'aimerais bien me compter moi-même parmi eux. Être un vrai con, bien franc, bien taché, bien nettement du côté des victimes. Mais là un épouvantable doute m'étreint : est-ce que je peux vraiment être un con, si j'en suis conscient ?
Encore que la conscience ne suffise pas. Steve n'est pas assez con pour ne pas savoir qu'il est con. Mais jamais il ne le dira. C'est ça qui le sauve.
Extrait de Fast Food, work in progress.
08:00 Publié dans Conneries | Tags : chemise, connerie, manager, fast food, cons & enculés, théorie définitive, travail | Lien permanent | Commentaires (0)